La Belle Fille Sur Le Tas D'Ordures by François Cavanna

La Belle Fille Sur Le Tas D'Ordures by François Cavanna

Auteur:François Cavanna [François Cavanna]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature française
Éditeur: L'Archipel
Publié: 2012-03-04T13:17:41+00:00


(Septembre 1987.)

Société à risques.

Si j’étais rédacteur en chef d’un journal écolo, je me frotterais les mains à m’arracher les jambes. Il pleut de la catastrophe industrielle exactement comme on avait prévu que ça pleuvrait, tellement exactement qu’on n’en revient pas d’avoir été aussi bons prophètes ! Ils sont vraiment aussi cons qu’on avait dit qu’ils l’étaient, et même davantage. Aussi cons, aussi cupides, aussi je-m’en-foutistes, aussi impudents, aussi cyniques et aussi fiers de l’être… Ils ont bien raison : ça marche.

À l’époque, je veux dire quand nous autres grandes gueules – Tu te souviens Fournier ? – dénoncions les dangers pas du tout hasardeux mais bel et bien certains du, par exemple, nucléaire, nous pensions que le bon peuple nous prenait pour des petits semeurs de panique trouillards et menteurs, à tout le moins exagérants. Nous fulminions contre les guignols genre Leprince-Ringuet (à propos, où se cache-t-il, celui-là, à l’heure de Tchernobyl ?) dont nous pensions que les affirmations optimistes éhontées avaient convaincu un menu peuple tellement ignare et tellement subjugué par le prestige des mandarins… Nous nous trompions. Le menu peuple n’était nullement convaincu de la nécessité du nucléaire et pas davantage de son innocuité, et n’avait nulle envie de l’être. La grande controverse EDF-Écologistes, il s’en foutait, le menu peuple. Tout simplement. Il a une tendance formidable à s’en foutre, le menu peuple, et pas seulement du nucléaire. Tchernobyl et tous les accidents moins énormes mais quasi quotidiens qui, lentement mais sûrement, disséminent par le vaste monde les radioactivités génératrices de cancers et d’autres saloperies n’éveillent pas la préoccupation des masses. Bien moins que les fluctuations de la Bourse, en tout cas. Les zautorités compétentes, après chaque épisode un peu voyant, encadrent leur bonne trogne au bon sourire de bon salaud irresponsable dans la petite fenêtre magique et répètent le même discours rassurant, ce n’est qu’une bavure, nous avons la situation bien en main, aucune raison que ça se reproduise, c’est même par un hasard inouï, absolument inconcevable, que ça s’est produit… Ils le disent à chaque marée noire, ils l’ont dit pour Tchernobyl, ils l’ont dit pour Seveso, ils l’ont dit pour les fûts de dioxine, ils viennent de le dire pour Nantes…

Quand même, ça commençait à devenir monotone. Le téléspectateur ne s’indignait pas, oh non, rien à craindre, le téléspectateur bouffe ou digère, mâche par la bouche et par les yeux du même mouvement de mâchoire, rote un coup et va se coucher. S’indigner ? Et la digestion ? S’indigner, pas de danger, mais s’ennuyer, il peut encore, parfois. Et changer de chaîne. Mauvais, ça. Alors, on lui varie le discours. Il y a des gars payés pour ça. Cher, je pense. Des gars qui ont étudié la psychologie, ces choses. Récemment, ils ont trouvé ça :

« Nous sommes dans une société à risques ».

J’ai entendu un ministre le dire, à propos de la grosse merde de Nantes, tout faraud, comme s’il avait trouvé ça lui-même. J’ai d’ailleurs cru qu’il l’avait trouvé, je me suis écrié dans le dedans de moi, sidéré devant tant de crapulerie tranquille, « L’enculé ! ».



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